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March 4, 2022Mon aventure avec Gérârd, ma course CRYO
par Tania Rancourt
Ça fait plusieurs mois que je sais pourquoi je m’entraîne…du moins, que je crois le savoir. J’ai skié des lacs quelques fois, j’y ai mangé et dormi. Je n’avais jamais tenté d’affronter un tel desert blanc au pas de course avec un chrono à respecter…encore moins LE Lac avec un grand «L»! J’ai dit à la blague à mes coachs de Tout.Trail que je ne l’aurais pas appelé «Clément», le lac…je vais donc le prénommer «Gérârd». Un «Gérârd» me semble que ça sonne fort, ça sonne bruyant.
Moi et mon amie Lorène (qui a remporté la micro et terminé 2 ième overall) on était confiantes après la réunion Zoom des coureurs. Météo Média nous annonçait une belle journée. Bon! On se doutait que ce serait mou mais c’est à ça que ça sert des raquettes! Et puis ça fait deux mois qu’on s’entraîne avec, on était d’accord toutes les deux que le défi était plus intéressant raquettes aux pieds! On appelle pas ça un défi pour rien! Ça prend un bon degré de difficulté pour obtenir ce titre! On nous a aussi rassurées sur les mesures de sécurité et le protocole à suivre en cas d’évacuation…tsé, ce qu’on pense qui arrive jamais et qu’on trouve toujours un peu exagéré? Ce que tu prends un peu moins le temps d’écouter parce que, de toute façon, ça arrivera pas…
Gérârd lui, a décidé qu’il se fâcherait juste assez ce jour là! Juste assez pour nous offrir des conditions difficiles et juste assez pour qu’on ne modifie pas le parcours et que la course ait lieu telle que prévue.
Lorène vient me reconduire à Kim, Michaël (tous les deux sur la première marche du podium) et Sylvain avec qui je me rendrai vers Roberval où nous devons prendre la navette vers le départ. Je ne vous cacherai pas que mon degré de nervosité augmente un peu plus à l’approche du départ.
Encore plus quand je constate qu’ils sont un peu plus habillés que moi. Kim a des bas chauffants et ils ont tous les trois des lunettes de skis. Bon. Je commence à angoisser un peu plus! Et la neige? Ça va rentrer dans mes souliers sûrement? J’ai laissé mes guêtres au AirBNB en me disant que j’étais ok. Je demande finalement à mon chum si c’est possible de me les apporter au départ…j’aurais aussi dû lui demander la cagoule qu’il m’a offert puisque je constaterai plus tard qu’elle m’aurait apporté un plus de «confort»… L’embarquement dans les navettes se fait et nous quittons Roberval pour St-Gédéon à 14h30 tapant. Arrivés à destination, Marie-Christine, la directrice de course vient nous faire part des derniers développements; vents, bourrasques de neige, température ressentie assez glaciale. Un beau cocktail pour rendre la course encore plus difficile que les années précédentes. On nous rassure que nous pouvons réduire notre distance et faire la Micro CRYO (13km) mais je prend la décision de me lancer sur la Traversée comme prévu. Je descend rejoindre mon chum et mes amis, je récupère mes guêtres, on prend une photo et je vais rejoindre les autres participants.
À l’intérieur du bâtiment où nous attendons, la fébrilité fait équipe avec l’inquiétude. Je croise une jeune femme à la salle de bains. «C’est ta première fois?» «Oui et je suis nerveuse » qu’elle me répond… «Moi aussi…» Aurais-je été mieux de prendre le départ du 13km? Trop tard. Nous sommes invités à rejoindre la plage. J’y retrouve mes amis et mon sourire! L’angoisse fait place au plaisir et à l’excitation! Les coureurs sont en feu et prêts à rencontrer le gros Gérârd! Enfin le décompte et c’est parti!
Je suis étonnée de l’état de la piste! Ça court quand-même bien et j’adopte un «pace » confortable. Pas question que je parte en peur! Je me fais dépasser et après quelques kilomètres, je commence à doubler des gens, signe que je progresse bien! Les rafales à 40km/h en provenance du nord-ouest nous envoient une bonne dose de piquant au visage! Tout est blanc! J’ai l’impression d’être «sur la brosse» tellement j’ai du mal à distinguer le ciel du sol! Les motoneiges qui avancent sur le côté donnent l’illusion que ça tourne! Bleh! J’arrive au premier ravito pile sur le «cut off» mais de toute évidence, il sera prolongé. Marie-Christine me regarde «T’as une bonne engelure Tania! Médical!» J’aurais dû la mettre la cagoule à mon chum! On nous demande désormais de courir en équipe d’au moins deux personnes en raison des conditions climatiques et de la visibilité réduite. «On peut courir ensemble Tania!» C’est Catherine Bujold, une coureuse gaspésienne avec qui j’ai échangé sur Messenger. « Mais oui, c’est certain! » Je prend une poignée de bleuets dans le chocolat des Pères Trappistes (congelés) et une gorgée de Pepsi et on repart. Rapidement, on fait le constat qu’on ne pourra malheureusement pas échanger en raison du vent qui siffle fort et de nos bouches gelées. J’ai quand-même le temps d’apprendre que ma collègue a déjà terminé la course et qu’elle a l’intention de se rendre au bout encore cette fois même si c’est clairement plus difficile qu’habituellement! Je peux vous dire qu’il ne faut pas trop regarder nos montres parce que c’est décourageant! Quelques kilomètres plus loin, Catherine commence à montrer des signes de fatigue. On ralentit le «pace» et on doit marcher un peu plus souvent. On a hâte d’arriver au prochain ravito. Elle pour manger et moi, pour possiblement abandonner parce que le plaisir est à -2. Je vois mon amie Line du Défi Everest prendre nos devants. Je sais que je pourrais la suivre mais je demeure avec Catherine puisque que les chances que je poursuive sont quasi-inexistantes et je veux demeurer avec elle pour la supporter. C’est ensuite mon ami Themy qui nous rattrape avec ses supers lunettes (j’en suis jalouse!) Il semble bien aller mais trouve ça difficile lui aussi! On jase un peu trop près un de l’autre et on s’empêtre mutuellement dans nos raquettes! De toute beauté. Les deux face première dans la neige! « T’es tu correct?» «Oui, oui! Hahaha! » Ok…on voit pas assez, il faut se tenir à distance les uns des autres pour éviter les carambolages! On arrive finalement au deuxième ravito après avoir couru les derniers km sur une trail quasi-inexistante. Je vais voir notre directrice de course «J’arrête Marie-Christine. Je suis venue courir, pas faire une expédition. » Une expédition chronométrée, non merci! Pour moi, une expé, ça se fait sur long, ça se «profite». Il n’y a pas de chrono à respecter et personne qui t’attend pour aller souper après. «J’ai aucun plaisir…» «Le plaisir, c’est prioritaire » qu’elle me lance avec son bel accent et ajoute à la radio : «Abandon du dossard 378.» Je me mets à l’abri du vent sur le côté de la cabane à pêche qui sert de ravito. À peine 5 petites minutes plus tard, j’ai déjà passablement froid. Un jeune bénévole m’offre du thé pour me réchauffer. Je mets mon Goretex comme deuxième couche et on me donne un troisième manteau. On m’aide à mettre des hot shots dans mes mitaines puisque déjà, mes doigts sont trop gelés pour faire quoi que ce soit. 5 minutes. Gérârd n’est pas très empathique ce soir! Après 20 minutes à patienter, je fini par un peu « péter ma coche » pour pouvoir me glisser à l’intérieur du ravito et espérer me réchauffer un peu. L’organisation n’avait clairement pas prévu qu’autant de participants « puncheraient » la fin de leur course ici et l’endroit est visiblement trop petit pour accueillir tout ce beau monde. Je fini par y entrer. Nous sommes une douzaine entassés comme des sardines.Les plus « en forme » debouts près du poêle à bois, les plus maganés assis dans un « sleeping bag » à attendre un rapatriement. C’est là que la vraie aventure débute pour moi. Je retrouve ici mon ami Sylvain Rioux avec qui j’ai jasé un peu dans le bus. Un excellent coureur originaire de Val-d’Or que j’ai eu le plaisir de croiser à quelques reprises dans différentes courses au Québec. Ce soir, il entreprend de maintenir le feu dans le poêle. «J’ai besoin d’une chaise pour assoir une coureuse en hypotermie, on va devoir l’habiller pour la rapporter à Roberval » lance le jeune bénévole au thé chaud. Une femme complètement frigorifiée entre et s’assoie dos à moi sur la chaise « Pouvez-vous m’aider à lui mettre sa couverture de survie? » demande le jeune bénévole dévoué. Je l’aide…je constate que c’est ma running buddy Catherine. Elle a dû revenir sur ses pas, complètement vidée. Gérârd l’a achevée! Je lui frotte les épaules pour la réchauffer. Elle tremble beaucoup. On l’habille et elle par dans un traîneau destiné aux premiers soins. Le lendemain, j’apprendrai qu’elle va super bien. « On pourrait t’apporter au ravito 15 en motoneige. On va te prêter des vêtements, il y a plus de place là-bas. » J’enfile un sleeping bag sur mes jambes et j’embarque sur le « ski- doo » en position « princesse sur son beau cheval blanc » sans ma belle robe entre deux monsieurs qui ont dû trouver que je m’agrippais pas mal fort à eux pour ne pas tomber! 6 km plus tard, visière du casque bien embuée (j’ai «arien» vu du trajet), on me dépose saine et sauve au ravito 15. J’ai le choix entre les deux tentes et la cabane. Mercures semblables, je choisi de retourner dans le petit refuge. Je pète de la broue avec un anglo qui se réchauffe debout près du feu et Guillaume, un jeune sur le bord de l’hypothermie que les secouristes s’assurent de garder au chaud en attendant son lift. J’y ferai aussi la rencontre d’une jeune française (dont j’oublie le nom) qui nous fera un show de duvet en collant accidentellement son sleeping bag sur le poêle, de Selena (pardonne-moi si l’orthographe n’est pas bon) à qui je léguerai ma paire de bas de « spare » et de nombreux bénévoles qui feront des «in and out» dans notre forteresse (j’aime bien les taquiner en leur disant de fermer la porte, qu’on chauffe pas le dehors. Je crois que ça m’aide à garder ma température corporelle dans une zone sécuritaire…ça pis mon sleeping bag enroulé autour de mon tronc) Je reste debout et j’essaie de demeurer active. Je suis assez bien pour faire des jokes! Je me trouve beeen drôle!
Devinez qui retonti au bout d’une heure? Mon ami Sylvain habillé avec une grosse doudoune clairement trop grande pour lui! Et puis viens le tour de Themy d’arriver à notre refuge. À ce moment, il croit continuer mais prendra finalement la décision d’abandonner ici. Le froid finira par le paralyser lui aussi. Je m’informe fréquemment de son état général entre deux blagues et une bûche dans le poêle. La dernière image que j’ai de lui, il est bien installé dans une carriole chauffée (le chanceux!). Je lui ai écrit le lendemain pour prendre des nouvelles et il a évité une imminente fracture de stress. Moi et Sylvain sommes les derniers à quitter l’endroit via la « ride » de ski-doo la plus épique de notre vie! (c’est peu dire pour deux abitibiens!). On nous installe sur un « traîneau » qui ressemble à un « trois skis ». N’ayant pas de pantalons chauds à me prêter, on m’enfile une jambe dans mon sac de couchage et l’autre dans celui que la jeune française a brûlé sur le poêle. On m’attache sur l’engin à l’aide de « bungees ». (Je réalise alors que c’est le jeune bénévole qui s’est occupé de moi lors de mon abandon qui aide Jean-Charles, notre pilote, à installer les élastiques. Je le remercie de tout mon cœur et lui fais savoir à quel point il était à sa place ce soir.) Je m’agrippe très fort au guidon de métal, Sylvain accroché à ma taille et on part. Jean-Charles prend des pauses aux 5 minutes pour s’assurer de notre sécurité. Ça brasse pas pire! On voit rien, on glisse un peu de chaque côté du banc mais on a du gros fun! On distingue bientôt Roberval, enfin. On passe les supers athlètes qui sont encore sur le parcours. La neige s’est dissipée et on distingue les étoiles. J’envie un peu mes collègues coureurs mais je ne peux regretter l’expérience que je viens de vivre.
Ça aura pris environ quatre heures avant que je sois évacuée. Quatre heures à voir l’entraide, l’empathie, le dévouement, la débrouillardise de l’équipe derrière les courses CRYO. Quatre heures à vivre une aventure humaine inoubliable. C’est sans aucun doute, le plus beau DNF de ma vie..mais l’an prochain, c’est munie de bonnes lunettes et de ma cagoule que je vainquerai le gros Gérârd. Il ne gagnera pas une autre fois certain!